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fertile, vous devez vous en apercevoir, et je suis incapable d’inventer quoi que ce soit pour vous amuser ; mon seul mérite consiste dans la fidélité avec laquelle je vous raconte l’humble histoire d’un homme très ordinaire. Je désire exciter votre sympathie pour des peines communes, vous faire répandre des larmes sur un chagrin simple mais réel ; sur une douleur telle qu’il peut s’en trouver à votre porte, une douleur qui n’est enveloppée ni de haillons, ni de velours, mais d’un costume très décent.

Pour que vous rendiez justice à ma véracité, veuillez, je vous prie, considérer qu’au moment où la comtesse quitta Camp-Villa, elle n’avait en poche que vingt livres, formant à peu près le tiers du revenu qu’elle possédait personnellement. Vous comprendrez qu’elle se trouvait dans la situation fâcheuse d’une personne qui s’est querellée, non pas, à la vérité, avec son pain et son fromage, mais avec son poulet et ses friandises, situation d’autant plus fâcheuse pour elle que l’habitude de l’oisiveté l’avait rendue incapable de se procurer ces superfluités, et qu’avec tous ses moyens de séduction elle ne s’était point ménagé d’amis enthousiastes dont les bourses lui fussent ouvertes et qui fussent dévorés du désir de la voir chez eux. En sorte qu’elle était complètement échec et mat, à moins qu’elle ne se décidât à une démarche désagréable, celle de s’humilier devant son frère et de reconnaître sa femme. Ceci lui sembla impossible, et elle se flatta qu’il ferait les premières avances ; dans cet espoir, elle resta mois après mois à la cure de Shepperton, supportant avec une gracieuse indulgence l’absence de confortable et sentant qu’elle se conduisait d’une manière char-