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dans cet état précaire et chancelant où un très léger coup du sort pouvait la renverser complètement. Ce coup ne se fit pas attendre.

Un matin de mai, comme il était sorti pour ses visites paroissiales et que les rayons du soleil brillaient à travers la fenêtre du salon où Milly était assise à coudre, jetant de temps en temps un regard sur les enfants qui jouaient au jardin, la porte résonna sous des coups précipités, et la comtesse entra bientôt, son voile baissé. Milly fut satisfaite de la voir ; mais, lorsque la comtesse, en relevant son voile, lui montra des yeux rouges et gonflés, Milly fut à la fois surprise et peinée.

« Que vous est-il arrivé, chère Caroline ? »

Caroline laissa tomber Jet, qui poussa un gémissement, puis elle jeta ses bras autour du cou de Milly et commença à sangloter ; ensuite elle s’affaissa sur le sofa et demanda un verre d’eau ; puis elle se débarrassa de son chapeau et de son châle ; et au moment où l’imagination de Milly était à bout de suppositions, elle dit :

« Chérie, comment pourrais-je vous le dire ? Je suis la plus malheureuse des femmes. Être trompée par un frère auquel j’étais si dévouée : le voir se dégrader, s’avilir !

— Qu’a-t-il fait ? dit Milly, qui se représenta le sobre M. Bridmain s’adonnant à l’eau-de-vie et aux paris.

— Il va se marier ! Se marier avec ma femme de chambre, cette trompeuse Alice, pour laquelle j’ai été la maîtresse la plus indulgente ! Avez-vous jamais entendu rien de si honteux, de si mortifiant, de si déshonorant ?

— Vous a-t-il informée de ce projet ? dit Milly, qui