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réel possesseur. Il pouvait bien être un peu rétif de temps en temps au joug de la belle comtesse, comme c’est l’habitude des pachydermes à longues oreilles ; mais il y avait peu de probabilité qu’il recouvrât jamais son indépendance. Toutefois le cœur d’un célibataire est une forteresse qu’un jour ou l’autre une belle ennemie peut surprendre par force ou par adresse, et il y avait à craindre que les premières noces de M. Bridmain n’eussent lieu avant les secondes de la comtesse. Quoi qu’il en fût, il se soumettait à tous les caprices de sa sœur, ne murmurait jamais de ce que les dépenses de sa toilette dépassassent la rente de soixante livres qu’elle possédait, et consentait à mener une vie errante, placée entre l’aristocratie et le peuple, au lieu de prendre place parmi les paroissiens dans un endroit où cinq cents livres de rente lui eussent permis de tenir son rang.

La comtesse avait eu ses vues en choisissant un lieu retiré comme Milby. Après trois ans de veuvage, elle avait accepté la possibilité de donner un successeur à son regretté Czerlaski, dont les beaux favoris, le grand air et les aventures romanesques avaient, dix ans auparavant, gagné le cœur de demoiselle Caroline Bridmain, alors dans tout l’éclat de ses vingt-cinq ans, gouvernante des filles de lady Porter, qu’il initiait aux grâces de la chorégraphie moderne. Elle avait passé avec Czerlaski sept années assez heureuses ; il l’avait conduite à Paris et en Allemagne, et l’avait présentée à beaucoup de ses anciens amis, gens de grands titres et de petites fortunes. En sorte que la belle Caroline avait une grande expérience de la vie et en avait retiré, non une sagesse très profonde, mais beaucoup d’élégance