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Ces yeux étincelants, ces lèvres blêmes, ce pas silencieux, la font ressembler à une furie plutôt qu’à une femme. Le soleil de midi brille sur les armes de la galerie, se reflétant sur les fourreaux d’épées et sur les saillies des hausse-cols. Oui, il y a ici des armes acérées. Il y a un poignard dans cette panoplie ; elle le sait bien, elle se précipite en avant, le saisit, et le cache dans son sein. L’instant d’après, elle court sur le sentier, enveloppée dans un manteau, et se dirige vers les ombres épaisses du bois des Corneilles. Elle foule le chemin sans remarquer les feuilles jaunies qui pleuvent sur elle ; elle ne sent point la terre sous ses pieds. Sa main serre la garde du poignard à demi tiré du fourreau.

Elle atteint le bois des Corneilles ; elle est sous l’ombre des rameaux entrelacés. Son cœur bat comme s’il allait se briser, comme si chaque palpitation devait être la dernière. Patience ! il sera là, devant elle, dans un instant. Il viendra à sa rencontre avec ce faux sourire, pensant qu’elle ignore sa bassesse : elle lui plongera ce poignard dans le cœur.

Pauvre enfant ! pauvre enfant ! Elle qui n’a jamais tué le plus petit insecte, elle songe maintenant, dans sa furie, à poignarder l’homme dont la voix seule lui ôtait toute force et toute volonté. Mais que voit-elle, gisant sur les feuilles sèches du sentier ?

Grand Dieu ! c’est lui, étendu sans mouvement. Il est malade, il est évanoui ! Sa main abandonne le poignard ; elle se précipite vers lui ; ses yeux sont fixes, il ne la voit pas. Elle tombe à genoux, prend dans ses bras cette tête chérie et baise ce front glacé.

« Anthony, Anthony ! c’est moi, c’est Tina ! Oh ! parlez-moi !… Grand Dieu ! il est mort ! »