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turaient, que ses douces paroles étaient comme des traits empoisonnés qui l’irritaient jusqu’à la fureur. Et lui, Anthony, il se repentait évidemment de la tendresse qu’il lui avait témoignée l’autre jour au salon. Il était froidement poli pour elle, afin d’écarter les soupçons de Béatrice, et Béatrice pouvait être gracieuse maintenant, parce qu’elle était sûre du dévouement d’Anthony. Il devait en être ainsi, et Tina ne devait point désirer qu’il en fût autrement. Et cependant, oh ! qu’il était cruel, cet Anthony ! Ce n’est pas elle qui se serait conduite ainsi envers lui. L’entraîner à l’aimer, lui dire de si tendres paroles, lui faire de telles caresses ! et maintenant paraître avoir oublié tout cela ! Il lui avait présenté un poison qui lui avait semblé si doux, et, maintenant que ce poison circulait dans ses veines, Anthony l’abandonnait !

C’est avec cette tempête dans l’âme que, chaque soir, la pauvre enfant remontait chez elle. Alors sa douleur éclatait. Là, avec des larmes et des sanglots, tantôt marchant avec agitation, tantôt se couchant sur le plancher, recherchant le froid et la fatigue, elle disait à la nuit, qui seule la prenait en pitié, l’angoisse qu’elle ne pouvait confier à aucune oreille humaine.

Cependant le sommeil finissait par arriver, et toujours aussi, vers le matin, elle éprouvait cette réaction qui lui permettait de vivre pendant la journée. Le privilège de la jeunesse est de pouvoir combattre longtemps cette espèce de désespoir secret, sans laisser apercevoir les traces de cette lutte à d’autres qu’à des cœurs sympathiques. L’air délicat de Caterina, sa pâleur habituelle et ses manières ordinairement calmes rendaient moins