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vu d’aussi brillant, d’aussi imposant, d’aussi beau que lady Cheverel. Car il était bien loin de lui, le temps où, vêtu de satin et le front orné de panaches, il avait pendant une courte saison foulé la scène comme primo tenore. Hélas ! il avait complètement perdu la voix l’hiver suivant, et depuis ce moment il n’avait guère plus de valeur qu’un violon brisé qui n’est bon qu’à brûler. Car, ainsi que plusieurs chanteurs italiens, il était trop ignorant pour enseigner, et, n’eût été son talent de copiste, lui et sa jeune femme auraient pu mourir de faim. Après la naissance de leur troisième enfant, la fièvre avait enlevé la mère et les deux premiers-nés et attaqué Sarti lui-même, qui ne quitta son lit que le cerveau et les membres affaiblis, ayant à sa charge un bébé de quatre mois à peine. Il demeurait au-dessus d’une fruiterie, tenue par une virago à la voix haute et au caractère irritable, mais qui, ayant eu elle-même des enfants, avait pris soin du bambinetto chétif, jaune et aux yeux noirs, et avait soigné Sarti pendant sa maladie. Il continua à demeurer là, gagnant pour lui et le petit être une maigre subsistance par le travail de copie que lui procurait le maestro Albani. Il semblait ne vivre que pour l’enfant ; il le soignait, le berçait, lui parlait, vivant seul avec lui dans une chambre au-dessus de la marchande de fruits, demandant seulement à sa propriétaire de prendre soin du marmot pendant ses courses, lorsqu’il allait chercher ou reporter de la musique. Les chalands de la boutique pouvaient souvent voir la petite Caterina assise par terre au milieu d’un monceau de pois, qu’elle s’amusait à disperser, et parfois blottie comme un petit chat