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elle était pâle et avait de grands yeux aussi noirs que des souliers ; son regard était tout à fait fixe.

— Je gage qu’elle portait sa toilette de noces ? dit M. Hackit.

— Oui, mais elle n’avait rien de particulièrement élégant ; seulement une robe blanche de mousseline des Indes et un petit chapeau blanc attaché sous le menton. Mais vous ne pouvez vous imaginer ce qu’était M. Gilfil dans ce temps. Il était déjà bien changé quand vous êtes venu habiter la paroisse. Il avait alors de belles couleurs sur les joues, et ses regards faisaient du bien au cœur. Il avait l’air parfaitement heureux ce dimanche-là ; mais j’eus comme un pressentiment que cela ne durerait pas. Je n’ai pas bonne opinion des étrangères, monsieur Hackit ; car j’ai voyagé dans leur pays avec ma maîtresse, dans mon temps, et j’en ai assez vu de leur nourriture et de leurs singulières manières.

Mme Gilfil venait d’Italie, n’est-ce pas ?

— Je le suppose, mais je n’ai jamais pu le savoir au juste. On n’a jamais osé en parler à M. Gilfil, et personne ici n’en a jamais rien su. Il fallait qu’elle en fût venue très jeune, car elle parlait l’anglais aussi bien que vous et moi. Ce sont les Italiens qui ont de si belles voix, et Mme Gilfil chantait si bien que vous n’avez jamais rien entendu de pareil. Il l’amena un jour ici pour prendre le thé un après-midi et me dit de son ton jovial : « Madame Patten, je désire que « Mme Gilfil voie la plus jolie maison et boive le meilleur thé qu’il y ait dans tout Shepperton ; il faut que vous lui montriez votre laiterie et votre chambre à fromage ; puis elle vous chantera un air. » Et elle le fit ; sa voix semblait quelquefois remplir la