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depuis longtemps renfermé ses premières espérances et ses premières tristesses, la chambre qui comprenait toute la passion et la poésie de sa vie.

Peu de gens dans la paroisse, excepté Martha, avaient un souvenir net de la femme de M. Gilfil, ou même savaient d’elle quelque chose de plus que le fait qu’il existait une plaque de marbre, avec une inscription latine dédiée à sa mémoire, placée au-dessus du prie-Dieu de la cure. Les paroissiens assez vieux pour se rappeler son arrivée n’étaient pas, en général, doués du talent descriptif, et tout ce que vous pouviez apprendre d’eux était que Mme Gilfil avait l’air d’une « étrangère, avec des yeux tels que vous ne pouvez vous les imaginer, et une voix qui vous remuait le cœur lorsqu’elle chantait à l’église ». Mme Patten faisait exception, grâce à son excellente mémoire et au plaisir qu’elle trouvait à raconter ; ses récits sur l’ancien temps étaient très goûtés à Shepperton. M. Hackit, qui n’était venu dans la paroisse que dix ans après la mort de Mme Gilfil, posait souvent à Mme Patten les mêmes questions, et ses réponses lui plaisaient en quelque sorte comme les passages d’un livre favori, où les scènes d’un drame peuvent plaire à des personnes lettrées.

« Vous vous rappelez bien le dimanche où Mme Gilfil vint pour la première fois à l’église, n’est-ce pas, madame Patten ?

— Certainement que je me le rappelle. Il faisait aussi beau temps que possible, juste au commencement des fenaisons. M. Tarbett prêcha ce jour-là, et M. Gilfil prit place au prie-Dieu avec sa femme. Je crois encore le voir conduisant le long de la nef cette jeune dame qui ne lui venait guère qu’à l’épaule ;