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apercevoir aucune trace de la sève, des fraîches feuilles et des fleurs que l’on admirait autrefois ; nous savons seulement que naguère tout cela existait. Pour moi, du moins, je ne vois presque jamais un vieillard courbé ou une vieille femme chancelante, que je ne reconnaisse avec les yeux de l’esprit ce passé dont ils sont les restes mutilés ; et le roman à peine ébauché de la jeunesse me paraît peu intéressant, comparé à ce drame d’espoir et d’amour qui, depuis longtemps déjà, a trouvé sa catastrophe et laissé la pauvre âme semblable à une scène obscure, dont toutes les brillantes décorations sont maintenant éclipsées.

En second lieu, je puis vous assurer que les libations de gin et d’eau de M. Gilfil étaient des plus modérées. Son nez n’était point rubicond ; au contraire, ses cheveux blancs encadraient un visage pâle et vénérable. Il prenait de préférence cette boisson parce qu’elle coûtait peu. Ici je me trouve amené à vous parler d’une autre faiblesse du vicaire, faiblesse que j’aurais pu supprimer, si je tenais à peindre un portrait flatté, plutôt que fidèle. C’est un fait certain que M. Gilfil, à mesure que les années avançaient, comme l’observait M. Hackit, avait de plus en plus « la main serrée », quoique ce penchant croissant se montrât plus dans la parcimonie de ses besoins que dans ses refus de secours aux indigents. Il économisait pour un neveu, fils unique d’une sœur qui avait été, ainsi qu’une autre personne, l’objet le plus cher de son existence. « Le garçon, pensait-il, aura une jolie petite fortune pour commencer la vie et amènera quelque jour sa jolie jeune femme pour voir la place où reposera son vieil oncle. Il n’en