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ticulière de bonheur qu’il se faisait de son sentiment pour Dorothée.

La pensée basse et vulgaire dont M. Casaubon le soupçonnait, la pensée que l’intérêt qu’il avait excité chez elle pourrait bien porter Dorothée, devenant veuve, à l’accepter pour époux, était bien loin de lui. Il vivait sans se soucier d’une telle perspective ; et il n’allait pas jusqu’au bout de ses visions d’avenir en se disant, comme nous nous disons tous : « Si cela arrive ! » donnant ainsi à notre bonheur imaginaire une apparence de réalité. Ce n’était pas seulement qu’il fût peu disposé à nourrir des pensées qu’on aurait pu taxer de bassesse, et déjà troublé par l’idée qu’il avait à se justifier de l’accusation d’ingratitude ; le sentiment latent de bien d’autres barrières entre lui et Dorothée, sans compter l’existence de son mari, l’avait toujours arrêté dans ses rêves.

Et puis, il y avait d’autres raisons encore, Will ne pouvait supporter l’idée qu’une tache vînt troubler son cristal. Il était à la fois exaspéré et ravi de voir Dorothée le regarder et lui parler avec une si parfaite et si tranquille aisance, et il y avait quelque chose de si exquis à penser à elle absolument telle qu’elle était, qu’il ne pouvait rien désirer qui pût la changer en rien. Est-ce qu’il ne nous déplaît pas d’entendre une belle mélodie rabâchée et vulgarisée ? N’est-il pas désagréable de voir que l’objet auquel nous avons aspiré de tout notre désir et que nous nous croyons près d’atteindre après beaucoup d’efforts, n’est pas, après tout, une chose extraordinaire, et qu’on en obtient aisément possession comme d’un bien journalier ?

C’est de l’étendue et de la qualité de notre émotion, que dépend notre bonheur, et pour Will, qui se souciait peu de ce qu’on appelle les choses solides de la vie et beaucoup de ses influences plus subtiles, avoir dans l’âme un sentiment pareil à celui qu’il avait pour Dorothée, c’était comme l’héri-