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persuadant que la malheureuse jeune femme n’existait probablement plus.

Il y avait des heures où Bulstrode sentait bien la malhonnêteté de sa conduite : mais comment revenir sur ce qu’il avait fait ? Il se livrait à des examens de conscience, se reconnaissait coupable, puis il s’accrochait à l’idée de la rédemption et poursuivait sa carrière d’instrument divin.

Cinq années après, la mort vint encore lui aplanir la route en lui enlevant sa femme. Il retira peu à peu son capital du commerce ; mais il ne fit pas les sacrifices nécessaires pour liquider les vieilles affaires, qui continuèrent encore pendant treize ans avant de cesser définitivement. Pendant ce temps Nicolas Bulstrode avait employé discrètement ses cent mille livres, et était devenu un homme important, solidement établi dans la province : banquier, homme d’Église, bienfaiteur public, intéressé encore dans un certain nombre d’entreprises commerciales bien choisies. Et maintenant qu’il avait joui sans trouble de la considération publique pendant près de trente ans, que tout ce qui avait précédé cette considération était depuis longtemps endormi au fond de sa conscience, ce passé s’était levé tout à coup et avait submergé son âme, sous l’irruption terrible d’une sensation nouvelle écrasant de son poids la faible créature.

Cependant, il avait appris dans son entretien avec Raffles un fait de la dernière importance, un fait qui entra pour une grosse part dans la lutte que se livraient ses désirs et ses terreurs. Ce fut là qu’il crut voir un moyen de salut spirituel, peut-être même de salut temporel.

Le salut spirituel était chez lui un besoin inné. On voit de grossiers hypocrites qui affectent volontairement des croyances et des émotions pour le seul plaisir de tromper le public, mais Bulstrode n’était pas de ces gens-là. Chez lui les désirs avaient été plus forts que les convictions théoriques, et il s’était toujours excusé d’avoir cédé à ses désirs