Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/523

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rompus. Il s’étonnerait peut-être et serait froissé de son message. Il était bien qu’il s’étonnât et se sentît froissé. Sa colère lui disait, comme la colère y est toujours disposée, que Dieu était avec elle, que tout le ciel, le ciel peuplé d’innombrables esprits qui les observaient, devait être de son côté. Elle allait sonner quand on vint frapper à la porte.

M. Casaubon faisait dire qu’il prendrait son dîner dans la bibliothèque. Il désirait rester absolument seul ce soir-là, étant fort occupé.

— C’est bien, Tantripp ; dans ce cas je ne dînerai pas.

— Oh madame, permettez que je vous monte quelque chose ?

— Non, je ne suis pas bien. Préparez mon cabinet et ne me dérangez plus, je vous en prie.

Dorothée restait assise presque immobile dans la lutte de ses pensées, tandis que peu à peu le soir tombait dans la nuit. Mais le combat de son âme changeait continuellement, comme celui d’un homme qui d’abord fait un mouvement pour frapper et finit par triompher de son désir de frapper. L’énergie qui pousserait au crime n’est pas plus forte que celle qui est nécessaire pour inspirer une ferme soumission quand la noble stature de l’âme se relève. Cette pensée avec laquelle Dorothée était sortie pour aller au jardin retrouver son mari, sa conviction qu’il avait interrogé Lydgate sur l’arrêt qui pourrait survenir dans son travail, et que la réponse du médecin avait dû lui déchirer le cœur, ne pouvaient être longtemps sans reparaître à ses yeux derrière l’image de M. Casaubon, comme un austère mentor qui lui reprochait sa colère. Il lui en coûta toute une série d’images douloureuses et de sanglots silencieux pour se résigner à devenir la consolatrice de ses chagrins, mais la ferme soumission l’emporta, et quand la maison fut silencieuse et qu’elle vit qu’il était à peu près l’heure où M. Casaubon se couchait d’ordinaire, elle ouvrit doucement la porte et resta