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SCÈNES DE LA VIE DU CLERGÉ

jetait une douce clarté sur l’objet qui seul l’intéressait. Il y avait dans la chambre une odeur d’eau-de-vie ; on en donnait de temps en temps à son mari ; mais ce fumet, qui d’abord lui avait causé un léger frémissement, lui était maintenant devenu indifférent ; elle ne l’apercevait même pas ; elle avait trop peu la perception d’elle-même pour être sensible à la tentation. Elle savait seulement que l’époux de sa jeunesse était mourant, loin, bien loin de son atteinte ; comme si elle restait désespérée sur le rivage, tandis qu’il s’enfonçait sous les vagues orageuses ; elle implorait un instant, un seul instant, où elle pût satisfaire son âme miséricordieuse par un regard d’amour, par une parole de tendresse.

Ses sensations et ses pensées étaient si persistantes qu’elle ne put compter les heures, et ce fut une surprise pour elle lorsque le garde éteignit la lampe et laissa pénétrer dans la chambre la faible clarté du matin. Mme Raynor, inquiète de Jeanne, était déjà levée et lui apportait du café ; et M. Pilgrim, s’étant réveillé, s’habilla à la hâte pour venir voir comment était Dempster.

Ce passage de la lumière artificielle à celle du matin, ce retour du même cours des choses que celui de la veille amena du découragement plutôt que du soulagement pour Jeanne. Elle ressentit davantage sa fatigue ; cette nouvelle clarté sur le visage de son mari semblait