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SCÈNES DE LA VIE DU CLERGÉ

enlevés l’un après l’autre et qu’elle se penche sur le dernier de ses bébés morts, trouve peu de consolation dans le fait que ce petit cadavre n’est qu’une unité dans le nombre moyen nécessaire, et qu’un millier d’autres bébés venus au monde en même temps que le sien se portent bien et vivront probablement ; si vous étiez près de cette mère — si vous connaissiez sa poignante douleur et la partagiez, — il est probable que vous seriez incapable aussi de trouver dans la statistique un motif de soumission.

Sans doute, une soumission reposant sur cette base est très rationnelle ; mais l’émotion, je le crains, est très peu rationnelle ; elle persiste à s’intéresser aux individus ; elle refuse absolument d’adopter les vues quantitatives d’angoisse humaine, et d’admettre que treize vies heureuses d’un côté sont une mise contre douze vies malheureuses, ce qui forme une balance très claire en faveur de la satisfaction. C’est là la niaiserie inhérente au sentiment, et il faut être un grand philosophe pour en être entièrement débarrassé et pour se plonger dans l’atmosphère sereine de l’intelligence pure, où il est évident que les individus existent uniquement pour qu’on puisse en déduire des abstractions — abstractions qui ressortent de morceaux de vies perdues comme un doux parfum de sacrifice pour les narines des philosophes ou pour une divinité philosophique. De là il résulte que pour l’homme qui connaît