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LA CONVERSION DE JEANNE

conscience en me promettant de prendre toujours soin de la pauvre Lucy. Mais, à mon retour d’un voyage fait pendant les vacances, je trouvai que Lucy était partie — partie avec un monsieur, me dirent ses voisins. Je fus tourmenté ; mais je cherchai à me persuader qu’il ne lui arriverait rien de fâcheux. Peu après, j’eus une grave maladie qui me laissa extrêmement faible, en sorte que toute dissipation m’était interdite. La vie me paraissait très vide et sans but, et je regardais avec envie ceux qui étaient à la poursuite de quelque but grand et glorieux : j’enviais même mon cousin, qui allait partir comme missionnaire, et que j’avais souvent regardé comme un être ennuyeux parce qu’il me parlait sans cesse de religion. Nous étions alors à Londres ; il y avait trois ans que j’avais perdu de vue Lucy. Un soir d’été, vers les neuf heures, comme je passais par Gower Street, je vis un groupe de personnes sur le trottoir devant moi. En m’approchant, j’entendis une femme s’écrier : « Je vous dis qu’elle est morte ». Ces paroles éveillèrent mon intérêt, et je me fis un passage au milieu de ces gens. Le corps d’une femme élégamment vêtue était couché contre le seuil d’une porte ; sa tête était penchée de côté, et de longues boucles de cheveux couvraient sa joue. Un frémissement me saisit en voyant ces cheveux ; ils étaient châtain foncé — comme ceux de Lucy — morte — les joues fardées. Je