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LA CONVERSION DE JEANNE

M. Tryan avec des yeux anxieux et interrogateurs, les lèvres ouvertes et tremblantes et le front marqué des profondes lignes d’une souffrance cruelle. Dans la vie artificielle que nous menons, il ne nous arrive pas souvent de voir un visage humain offrir toute l’agonie du cœur, sans s’en apercevoir pour se contenir ; quand nous le voyons, cela nous frappe, comme si nous étions soudainement entrés dans le monde réel dont celui de tous les jours n’est qu’un simulacre. Pendant quelques instants M. Tryan fut trop ému pour répondre.

« Oui, chère madame Dempster, dit-il enfin, il y a de la consolation, il y a de l’espoir pour vous. Croyez-moi, il y en a, car je vous parle de ma profonde et dure expérience. » Il s’arrêta, comme s’il n’était pas décidé à prononcer les mots qui se pressaient sur ses lèvres. Bientôt il continua : « Il y a dix ans, je me sentais aussi infortuné que vous l’êtes. Je crois même que mon infortune était pire que la vôtre, car j’avais un péché plus grave sur la conscience. Je n’avais point, comme vous, souffert de la part des autres, et j’avais nui à une autre personne en son corps et en son âme d’une manière irréparable. L’image du mal que j’avais fait me poursuivait partout, et je me croyais sur les limites de la folie. Je haïssais ma vie, car je pensais, ainsi que vous le faites, que je continuerais à tomber dans la tentation et à faire encore plus de mal dans ce