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SCÈNES DE LA VIE DU CLERGÉ

de la vie qu’elle aurait à mener de jour en jour, sans aucun espoir qui pût lui donner des forces contre cette affreuse habitude, qu’elle maudissait dans le passé et à laquelle cependant elle était incapable de résister.

Son mari ne consentirait jamais à ce qu’elle vécût loin de lui ; elle était devenue nécessaire à sa tyrannie ; il ne lui laisserait pas reprendre sa liberté. Elle avait quelque vague idée que la loi pourrait la protéger, si elle prouvait qu’avec lui sa vie était en danger ; mais elle répugnait, comme toujours, à toute résistance publique ; elle se trouvait trop coupable elle-même, trop digne de blâme, pour avoir le courage, même si elle en avait eu le désir, de se placer ouvertement dans la position d’une femme maltraitée et cherchant la justice. Elle n’avait point de force pour se soutenir dans sa démarche d’indépendance et de défense personnelle ; il y avait une ombre plus obscure sur sa vie que la crainte de son mari : c’est qu’elle désespérait d’elle-même. La chose la plus facile serait de s’éloigner, de se cacher. Mais alors il y avait sa mère ; Robert avait en main tout le peu que possédait celle-ci, et ce peu était à peine suffisant pour la mettre à l’aise, sans qu’il l’aidât. Si Jeanne s’en allait seule, il persécuterait bien certainement sa mère, — et qu’arriverait-il ? Elle devrait travailler, usée et sans espoir comme elle l’était ; il faudrait qu’elle s’ingéniât pour commencer sa