Page:Eliot - La Conversion de Jeanne.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
LA CONVERSION DE JEANNE

la bonne chez elle en congé. Je le lui ai promis depuis longtemps. Il n’y a aucun moyen de retenir la langue des servantes. Ce qu’elles ne savent pas, elles ne le diront pas ; vous pouvez vous fier à elles jusque-là. Mais ne voudriez-vous pas que j’allasse chercher votre mère ?

— Non, pas encore, pas encore. Je ne voudrais pas la voir à présent.

— Ce sera comme vous voudrez. Essayez de vous rendormir. Je vous laisserai une heure ou deux, et je renverrai Phœbé ; puis je vous apporterai à déjeuner. Je fermerai votre porte à clef, pour que la fille ne risque pas d’entrer. »

La lumière du jour change pour nous l’aspect du malheur, comme de toute autre chose. Dans la nuit il oppresse notre imagination : les formes qu’il prend sont fausses, fantastiques, exagérées ; au grand jour il nous fatigue par cette persistance désespérante d’une réalité définie et mesurable. L’homme qui regarde avec effroi, pendant le silence de la nuit, sa propriété dévorée par les flammes, n’a pas la moitié du sentiment de dépouillement qu’il aura le matin, lorsqu’il se promènera au milieu des ruines noircies sous un soleil sans pitié. Ce moment de la plus intense dépression vint pour Jeanne, quand le jour, qui lui faisait voir les murs, les tables, les chaises et toute la réalité ordinaire qui l’entourait, sembla lui présenter aussi l’avenir et faire ressortir avec une cruelle netteté tous les détails