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SCÈNES DE LA VIE DU CLERGÉ

mère. C’est la vieille histoire. Vous ne me demandez pas ce que j’ai eu à supporter. Vous êtes fatiguée de m’écouter. Vous êtes cruelle comme les autres : tous sont cruels dans ce monde. Rien que du blâme — du blâme — du blâme ; jamais de pitié ! Dieu est cruel de m’avoir envoyée dans ce monde pour souffrir ainsi.

— Jeanne, Jeanne, ne dites pas cela. Ce n’est point à nous de juger : nous devons nous soumettre ; nous devons être reconnaissants de la vie.

— Reconnaissants de la vie ? Pourquoi serais-je reconnaissante ? Dieu m’a fait un cœur pour sentir, et la vie ne m’a offert que des maux. Comment pouvais-je savoir ce qui arriverait ? Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit, mère ? Pourquoi m’avez-vous laissé me marier ? Vous saviez quelles brutes les hommes peuvent devenir ; et il n’y a point de secours pour moi, point d’espérance. Je ne puis pas me tuer : je l’ai essayé, mais je ne puis quitter ce monde pour aller dans un autre. Il n’y aurait peut-être point de pitié pour moi là-haut, pas plus qu’ici.

— Jeanne, mon enfant, il y a de la pitié. Ai-je jamais fait autre chose que vous aimer ? Et il y a de la pitié en Dieu. N’a-t-il pas mis dans votre cœur de la pitié pour les pauvres souffrants ? D’où venait-elle, cette pitié, si ce n’est de lui ? »

L’irritation nerveuse de Jeanne changea, et