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reflétait son éclat dans ses bouillons et ses courants, sur les voiles brunes, les barges chargées de charbon, répondant ainsi à la couleur merveilleuse du ciel.

Se sentant réchauffé, Deronda quitta les rames et endossa son surtout. Comme il levait la tête pour fermer le bouton supérieur, ses yeux s’arrêtèrent sur une figure bien connue, qui le regardait du haut du pont. C’était celle de Mordecai, qui avait aperçu le bateau, d’abord simplement parce qu’il s’approchait, et ensuite avec des impressions qui le firent tressaillir. Il était ému ; un pressentiment l’agita jusqu’à ce qu’enfin la figure qui s’avançait se levât — la figure de ses visions ! — et aussitôt, avec la main, il lui fit des signes d’accueil répétés.

Deronda, désireux que Mordecai le reconnût et l’attendît, ne perdit pas de temps pour signaler sa présence et répondit à ses gestes. Mordecai leva son chapeau et le salua ; pour lui, la prophétie qu’il sentait dans son cœur était accomplie. Obstacles, inconvénients, tout disparaissait dans la satisfaction qui inondait son âme. L’ami qu’il s’était figuré depuis si longtemps sortait du ciel d’or et lui faisait signe qu’il était venu. Telle était l’actualité. Le reste devait être aussi.

En quelques minutes, Deronda eut débarqué, payé son batelier, et rejoint Mordecai, qui était resté tranquillement à l’attendre.

— Je suis bien heureux de vous trouver ici, lui dit Deronda, car j’avais l’intention d’aller voir à la boutique de M. Ram si vous y étiez. J’y suis venu hier ; peut-être vous l’a-t-on dit ?

— Oui ; c’est pourquoi vous m’avez trouvé sur le pont.

Cette réponse, faite sur un ton de gravité simple, parut mystérieuse à Daniel. Les particularités de cet homme seraient-elles vraiment associées à une sorte d’aliénation mentale, comme l’avait fait supposer Cohen ?