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— Ah ! fit Klesmer, d’un ton d’attente satisfaite.

Puis il eut un sourire radieux et fit un profond salut à Mirah, qui, sans paraître aucunement surprise, laissait voir sur ses traits un plaisir calme. Le regard de Klesmer lui plaisait ; elle était certaine qu’il la gronderait en grand musicien et en homme excellent.

— Verriez-vous quelque obstacle à commencer notre connaissance en me chantant quelque chose ? demanda-t-il, sachant bien qu’il mettrait tout le monde à l’aise en bannissant les préliminaires.

— J’en serai, au contraire, très heureuse. Vous êtes bien bon de consentir à m’entendre, dit Mirah en allant au piano. — Dois-je m’accompagner moi-même ?

— Certainement, répondit Klesmer en s’asseyant, après toutefois en avoir attendu l’invitation de madame Meyrick, de façon à bien voir la chanteuse.

La rusée petite mère en fut enchantée et se dit : « Il aimera mieux son chant s’il la voit. »

Tous les cœurs féminins, excepté celui de Mirah, battaient d’inquiétude, terrifiés de l’aspect de Klesmer, assis comme un juge sévère, sur lequel elles jetaient des regards furtifs.

Quelle peine pour ces pauvres filles s’il allait dire quelque chose de disgracieux ! Elles se rassuraient cependant un peu, en pensant que le prince Camaralzaman, qui avait entendu ce qu’il y a de mieux, préférait le chant de Mirah à tout autre. Quant à cette dernière, elle paraissait encore plus à l’aise que d’habitude.

Le morceau qu’elle choisit était un air écrit sur les paroles de l’ode à l’Italie par Leopardi, commençant ainsi :

O patria mia, vedo le mura, e gli archi,
E le colonne, e i simulacri, e l’erme,
Torri degli avi nostri
[1].

  1. Ô ma patrie, je vois les murs et les voûtes, — les colonnes, les statues et les remparts, — les tours de nos ancêtres.