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point de réponse immédiate, il serra les genoux de Mordecai pour le réveiller. Il ouvrit les yeux enfin ; son air était féroce. Il saisit l’enfant par ses petites épaules, et, à sa grande frayeur, lui murmura d’une voix rauque :

— Enfant, une malédiction est jetée sur ta génération. La montagne sera entr’ouverte ; on en transformera l’or en monnaie, et les ornements sacrés seront changés en joyaux et en pendants d’oreilles pour les femmes débauchées ! Ils prendront un nouveau nom ; mais l’ange de l’ignominie, avec son tison ardent, les connaîtra, et leur cœur sera la tombe des désirs qui changent leur vie en pourriture !

Mordecai venait de recevoir un coup dont il se ressentit longtemps ; sain d’esprit tout autant que facile à surexciter, il se jugea sévèrement et perdit confiance en lui-même.

Ce fut alors que, pendant sa garde habituelle de la vieille boutique du bouquiniste, il fut frappé par l’apparition de Deronda, et l’on peut comprendre maintenant pourquoi le regard de Mordecai prit une soudaine intensité d’intérêt, à l’aspect du nouveau venu, dont la figure et la forme lui semblaient réaliser le type depuis si longtemps conçu par lui. Mais le désaveu d’une extraction juive fut, pour le moment, une décourageante déception ; car il ébranlait sa confiance en rendant son attente indéfinie. Néanmoins, lorsqu’il retrouva Deronda assis à la table des Cohen, le désaveu fut pour un instant oublié ; la première impression revint avec une force nouvelle, semblant être garantie par cette deuxième rencontre sous des circonstances encore plus particulières que la première. En demandant à Deronda s’il savait l’hébreu, Mordecai était si fortement possédé par ce nouvel accès de persuasion, qu’il avait oublié l’absence de toute autre condition pour l’accomplissement de ses espérances. Mais la réponse négative les brisa de nouveau, et la déception fut encore plus pénible qu’auparavant. Après avoir quitté la table, à la fin de cette soirée de sabbat