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juive, noble gravité ; n’ayant point de ressemblance avec les visages qu’il avait vus chez les juifs de Hollande et de Bohême, ni avec les peintures qui lui revenaient en mémoire. Mais, avec ce mélange d’inconséquences qui nous appartient à tous, et non malheureusement, puisqu’il nous sauve de bien des erreurs, la confiance de Mordccai dans l’ami qui devait venir ne suffisait pas à le rendre passif, et il essaya d’expédients pathétiquement modestes et à sa portée, pour pouvoir se communiquer.

Il y avait maintenant deux ans qu’il résidait sous le toit d’Ezra Cohen ; on l’y considérait, avec beaucoup de bon vouloir, comme un composé d’ouvrier, d’instituteur, de vase de charité, d’idiot inspiré, d’homme pieux et — si l’on y avait regardé de près — de dangereux hérétique. Durant ce temps, le petit Jacob avait grandi et s’était avancé dans cette vivacité d’intelligence avec laquelle on a déjà fait connaissance par rapport à la coutellerie et à l’échange.

Il s’était attaché à Mordecai, qu’il regardait, à la vérité, comme un inférieur, mais qu’il n’en aimait pas moins ; il acceptait son habileté salutaire comme il aurait accepté les services d’un Djinn réduit à l’esclavage. Quant à Mordecai, il avait donné à Jacob ses premières leçons, et sa tendresse naturelle s’était aisément transformée en une espèce de paternité. Quoiqu’il fût intimement convaincu de la distance spirituelle qui existait entre lui et les Cohen, auxquels il n’aurait jamais essayé de faire la moindre communication sur son monde particulier, l’enfant émouvait ses entrailles, et il avait espéré trouver en lui les possibilités d’un long avenir. Ce sentiment avait crû dans son âme, d’abord sans préméditation, ensuite avec le but précis de verser dans l’oreille du petit être des choses qui auraient paru assez hétéroclites à un excellent commerçant qui les aurait entendues. Mais personne ne savait quand Jacob montait dans la chambre de Mordecai, par exemple, le jour où il avait