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en se tournant vers Mirah, qui l’écoutait sans le regarder.

— Il faut que ce soit cela, puisque vous me comprenez ; mais je ne puis m’expliquer tout à fait, répondit-elle en rêvant, comme si elle cherchait une expression.

— Mais était-ce donc si beau de la part de Bouddha de se laisser manger par la tigresse ? demanda Amy. Ce serait un mauvais exemple.

— Le monde serait plein de tigres gras, ajouta Mab.

Deronda se mit à rire, mais il défendit le mythe.

— C’est comme un mot passionné, dit-il ; l’exagération est un éclair de ferveur. C’est une image exagérée de ce qui arrive chaque jour, c’est la transmutation de soi-même. Mais ne nous éloignons pas trop des matières pratiques. Je suis venu vous dire que j’ai eu hier une entrevue qui, je l’espère, sera très utile pour Mirah. J’ai vu Klesmer, le grand pianiste.

— Ah ! s’écria madame Meyrick avec satisfaction ; et vous pensez qu’il voudra l’aider ?

— Je l’espère. Il est très occupé, mais il m’a promis qu’il profiterait de son premier moment de liberté pour recevoir et entendre miss Lapidoth… comme il faut que nous apprenions à la nommer, — Deronda sourit à Mirah.

— si elle consent à aller chez lui.

— Avec reconnaissance, dit-elle tranquillement. Il veut m’entendre chanter pour juger s’il peut m’aider.

Deronda fut frappé de son grand sens sur les matières d’intérêt pratique.

— Je pense que cela ne vous sera pas pénible, puisque madame Meyrick veut bien vous accompagner chez Klesmer.

— Oh ! certes non, pas du tout ! Je l’ai fait toute ma vie ; je veux dire que j’ai fait bien des choses pour que les autres pussent me juger. J’ai même dû passer par de rudes épreuves. Je suis prête à tout supporter, à faire tout ce que l’on voudra. Klesmer est-il sévère ?