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accordée Grandcourt de parler à Deronda autant qu’elle le voudrait ; mais aucune occasion de le faire ne se présenta, et malgré ses petits plans pour y parvenir, elle se vit obligée de les rejeter tous par orgueil. La matinée s’était passée sans qu’elle pût reprendre le fil de son entretien avec Daniel et son départ de l’abbaye était fixé pour trois heures. Ce qui l’irritait, c’est qu’une promenade avait été projetée en présence de Daniel et qu’il ne s’était pas présenté pour s’y joindre. Grandcourt était allé à King’s Topping avec sir Hugo visiter le vieux manoir ; d’autres gentilshommes s’amusaient au tir ; elle était donc condamnée à aller regarder chasser le gibier aquatique et d’autres choses dont elle ne se souciait pas, avec les dames, avec le vieux lord Pentreath et ses anecdotes, avec M. Vandernoodt et sa conversation fatigante. Son irritation devint trop forte. Sans préméditation aucune, elle profita d’un tournant de la route pour s’arrêter, puis, se trouvant hors de la vue des autres, elle retourna presque en courant à l’abbaye. Elle y rentra par une petite porte et monta vers la bibliothèque où elle savait que Deronda se tenait souvent. Pourquoi n’y entrerait-elle pas aussi bien que dans toute autre chambre de la maison ? Le plus à craindre était que Daniel ne s’y trouvât pas, car la porte en était entrebâillée. Elle la poussa doucement et regarda. Il y était, occupé à écrire devant une table du fond, tournant le dos à la porte. C’était bien hardi de s’y introduire, bien grossier peut-être de l’interrompre pour lui parler. Elle s’avança avec précaution ; le tapis amortissait le bruit de ses pas ; elle demeura ensuite immobile. Deronda ayant fini sa lettre, la mit de côté en attendant que sir Hugo vînt la signer. Il s’appuyait contre le dos de sa chaise, se demandant s’il ferait un autre travail ou s’il irait rejoindre la société, lorsqu’il entendit une voix timide qui disait :

— Monsieur Deronda !