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idiots seuls échappent à la peine, et vous n’êtes pas une idiote. Il en est, je le sais, qui peuvent faire du mal aux autres sans remords ; mais admettez que l’on en ressente ! Je ne crois pas que vous puissiez jamais mener une vie coupable ! Toutes les vies insouciantes sont coupables et ne sentent point le remords.

— Alors, dites-moi ce qu’il faut que je fasse, insista Gwendolen.

— Bien des choses. Jetez les yeux sur les autres existences, au lieu de vous appesantir sur la vôtre ; voyez quelles sont leurs souffrances et d’où elles proviennent. Essayez de vous intéresser à quelque chose dans ce vaste monde, outre la satisfaction de petits désirs égoïstes. Efforcez-vous de vous occuper de ce qui est le meilleur en pensée et en action, de ce qui est bon, sans penser aux accidents de votre lot.

Gwendolen garda le silence un instant, puis relevant encore une fois le front, elle dit :

— Vous me croyez égoïste et ignorante.

Il laissa son regard se fixer sur le sien et répondit avec fermeté :

— Vous ne resterez ni égoïste ni ignorante.

Elle ne détourna ni ne baissa les yeux, mais un changement se produisit sur ses traits ; on y lisait l’affaissement et la défiance d’elle-même.

— Dois-je vous reconduire là-bas ? lui demanda-t-il avec douceur en lui offrant le bras.

Elle le prit sans rien répondre, et ce fut de cette manière qu’ils arrivèrent auprès de Grandcourt qui se promenait d’un air maussade. Gwendolen s’avança jusqu’à lui et dit :

— Je suis prête à partir maintenant. M. Deronda nous excusera auprès de lady Mallinger.

— Certainement, répondit-il. Lord et lady Pentreath se sont retirés il y a déjà quelque temps.