Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tage n’aurait pu lui donner plus de grâce ou plus de raffinement.

— Je me demande quelles ont été ses peines ?

— Je n’en ai pas de connaissance très précise ; mais je sais qu’elle a été sur le point de se noyer de désespoir.

— Et qui l’en a empêchée ? demanda vivement Gwendolen.

— Un rayon est venu l’éclairer et lui a fait sentir qu’elle devait vivre… qu’il était bon de vivre, répondit Daniel avec calme. Elle est pleine de piété et paraît capable de se soumettre à tout quand elle croit que c’est un devoir.

— Ces gens-là n’ont pas besoin de pitié, dit-elle impatiemment. Je n’ai point de sympathie pour les femmes qui ont toujours marché droit. Je ne crois pas en leurs grandes souffrances. Ses doigts froissaient convulsivement les pages de musique.

— Il est vrai que la conviction d’avoir fait du tort est quelque chose de plus lourd et de plus amer, repartit Deronda. Je suis porté à croire qu’étant tous susceptibles de faillir, nous ne pouvons avoir les mêmes sentiments pour ceux qui sont irréprochables que pour ceux qui sont meurtris dans la lutte par leur propre faute. C’est une très ancienne histoire que celle de la brebis égarée, mais elle se renouvelle chaque jour.

— C’est une manière de parler, cela n’a jamais été vrai, ce n’est pas réel, dit-elle avec amertume. Vous admirez miss Lapidoth parce que vous la croyez irréprochable, parfaite, et vous mépriseriez une femme qui aurait commis, selon vous, quelque mauvaise action.

— Cela dépendrait entièrement de la manière dont elle considérerait cette action, objecta Deronda.

— Seriez-vous content si elle était très misérable ? s’écria Gwendolen avec impétuosité.

— Non, je ne serais pas content, je serais navré pour elle. Ce n’est pas une simple façon de parler. Je ne veut pas