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et ses clefs. Dans son impérieuse passion pour le jeu, il n’aurait pas reculé devant l’infamie de dérober à sa fille une somme qui en valût la peine. Mais Mirah, avec sa clairvoyance pratique, se garait contre toute surprise et contre toute violation de sa promesse à Ezra de ne point confier d’argent à leur père ; aussi Lapidoth se considérait-il comme confiné dans un hospice où tout était mis hors de la portée de ses atteintes. Il allait même jusqu’à se trouver maltraité par sa fille ; mais il se gardait de le laisser voir et, en apparence, se montrait soumis ; car l’indiscrétion qui le tentait le plus, n’était pas d’insister auprès de Mirah, mais de faire un appel à la générosité de Deronda. En dépit de son outrecuidance, Lapidoth, qui avait une certaine peur de l’imposant ami de son fils, différait de jour en jour son projet.

Celui où Deronda, plein d’un heureux espoir qui rayonnait dans ses yeux et dans son langage, vint chez Ezra, Lapidoth était dans une crise de mécontentement, et s’efforçait, pour reconquérir sa liberté, de trouver des plans que la nouvelle aménité de Daniel encourageait. Après être demeuré quelque temps assis à réfléchir, il sortit pour fumer et se promener dans le square. Mirah n’était pas encore rentrée, mais certainement elle reviendrait avant le départ de Deronda dont les yeux étincelaient d’une anticipation secrète. Il se montra même avec Ezra plus affectueux que jamais.

— Cette petite chambre n’est pas assez aérée pour vous, Ezra, lui dit-il en interrompant sa lecture. La chaleur qu’il fait ici est plus insupportable que celle de Gênes, où l’on peut au moins jouir de la fraîcheur dans de spacieux appartements. Il vous en faut un meilleur que celui-ci. Du reste, je puis faire de vous ce que je veux, puisque je suis votre plus forte moitié. Il sourit à Ezra qui répondit :