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elle jeta un regard sur le groupe et se dit en refermant la porte : « C’est assurément le père. » Lapidoth s’était donné à l’avance un air mélancolique, mais il tremblait réellement lorsqu’il dit :

— Eh bien, Ezra, mon fils, tu ne dois pas me reconnaître après tant d’aunées de séparation ?

— Je vous reconnais… trop bien… mon père, dit Ezra avec une sévérité solennelle qui fit résonner le mot « père » comme un reproche.

— Ah ! tu n’es pas content de moi ? je ne m’en étonne pas. Les apparences me condamnent. Quand un homme tombe dans la gêne, il ne peut pas faire ce qu’il voudrait. Cela n’empêche pas que j’ai bien souffert. — En parlant, il retrouvait toujours sa volubilité et son effronterie ; alors, se tournant vers Mirah, il lui tendit le porte-monnaie, en disant :

— Voici ta petite bourse, ma chère. J’ai pensé que tu en étais inquiète parce qu’il y a quelque chose d’écrit. Je l’ai vidée, tu vois ; j’avais une dette à payer pour ma nourriture et mon logement. Je savais que tu ne regretterais pas que je me sois acquitté de cette dette, et me voici… sans un sou dans ma poche… à la merci de mes enfants. Vous pouvez me renvoyer si vous voulez, sans avoir besoin d’appeler la police. Dis ceci, Mirah : « Mon père, j’ai assez de vous ; j’étais votre bijou ; vous avez dépensé pour moi tout ce que vous aviez lorsque je ne pouvais rien faire sans vous ; mais je puis faire mieux sans vous maintenant. » Dis cela, et je pars sur-le-champ. Je ne te tourmenterai plus.

Comme d’habitude, il y avait des larmes dans sa voix.

— Vous savez bien que je ne dirai jamais cela, mon père, répondit Mirah avec désespoir ; car tout ce qu’il venait de dire n’était que mensonge, et elle le savait ; elle comprenait aussi qu’il avait l’intention de s’installer chez eux.