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se serait-il révolté, et aurais-je pensé que, si j’avais pu choisir, je n’aurais pas voulu être juif. Mais maintenant, tout mon être consent. C’est l’accord graduel qui s’est fait entre votre âme et la mienne qui a amené ce plein consentement ; c’est par votre inspiration que j’ai discerné ce qui peut être la tâche de toute ma vie ; c’est vous qui avez donné une forme à ce qui était un désir hérité, c’est-à-dire l’effet de nourrir des pensées passionnées pour mes ancêtres, pensées qui furent toujours présentes à l’esprit de mon grand-père. Depuis que j’ai commencé à lire et à comprendre, j’ai toujours ambitionné une tâche idéale dans laquelle je me sentirais le cœur et le cerveau d’une multitude… une direction sociale qui me viendrait comme un devoir et non comme une récompense personnelle. Vous avez évoqué pour moi l’image d’une semblable tâche de réunir et lier en un faisceau notre race en dépit de l’hérésie… Vous m’avez dit : « Notre religion nous « unis avant de nous diviser… Elle a fait de nous un peuple, avant de faire des rabbanites et des caraïtes. » Je veux essayer de faire réussir cette union. Je veux travailler selon votre esprit. Si j’échoue, ma chute ne sera pas ignoble, mais ce qui serait ignoble à mes yeux serait de ne pas essayer.

— C’est parler en frère qui, comme moi, aurait sucé le lait de ma mère, dit Mordecai en s’étendant dans son fauteuil avec un air de quiétude parfaite, comme s’il avait fini son labeur. Le mariage de nos âmes a déjà commencé. Que ce corps disparaisse et alors les fiancés s’uniront plus étroitement et ce qui est mien sera vôtre. N’appelez pas mien ce que j’ai écrit, Daniel : car je l’ai jugé et je désire que le corps que j’ai donné à mes pensées passe comme ce corps charnel ; mais que cette pensée renaisse de mon âme complétée par la vôtre.

— Ne me demandez pas une telle promesse, dit Daniel en souriant : il faudra d’abord que je sois convaincu par des