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chanté. — Elle s’arrêta un peu et reprit d’un ton significatif : — J’ai d’excellents amis qui savent tout ce qui me concerne.

— Et tu serais honteuse qu’ils vissent ton père dans l’état où il est ? Ce n’est pas étonnant. Je ne suis venu en Angleterre que pour tâcher de te retrouver. C’était une folle recherche ; mais le cœur d’un père est superstitieux. J’aurais bien fait de rester à l’étranger ; n’ayant plus à prendre soin de toi, j’aurais pu rouler ma bosse à volonté ; mais c’est bien triste d’être seul au monde quand le courage et les forces commencent à faiblir. Je croyais que ma petite Mirah, quand elle reverrait son père, se repentirait de l’avoir quitté. J’ai eu bien du mal à faire ma route, et je ne sais ce que je deviendrai ici. Mes talents ne peuvent être utilisés en ce pays. Je ne pourrais pas trouver d’emploi avec mon accoutrement. J’ai déjà été obligé d’emprunter un shilling.

Mirah, qui voyait déjà son père tomber plus bas encore dans l’abjection, crut qu’il était de son devoir de l’empêcher si elle le pouvait. Mais Lapidoth, sans lui laisser le temps de parler, reprit :

— Où demeures-tu, Mirah ?

— Ici, dans une maison de ce square. Nous n’en sommes pas loin.

— Meublée ?

— Oui.

— Quelqu’un prend-il soin de toi ?

— Oui, dit Mirah en regardant bien en face la figure rusée qui l’observait ; mon frère !

Les paupières de Lapidoth clignotèrent comme si un éclair les avait traversées, et il fit un léger mouvement d’épaule. Puis il dit

— Ezra ? Comment as-tu su… comment as-tu pu le trouver ?