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Pendant que Hans répondait, Mirah s’échappa et courut dans sa chambre, mais non pour donner libre cours à la passion qui était en elle. Si les anges, que l’on supposait autrefois présider à la toilette des femmes, étaient entrés avec elle dans sa petite chambre, ils l’auraient tout simplement vue ôter son chapeau, s’asseoir et se presser les tempes avec ses mains, comme si la tête lui faisait mal ; puis se lever pour humecter d’eau froide ses yeux, son front et ses cheveux, ce qui la fit ressembler à une fleur fraîchement éclose dans les bois humides de rosée. Ils l’auraient vue encore pousser de gros soupirs, mettre ses petites pantoufles, s’asseoir ensuite pendant un moment, qui lui parut si long, si plein de choses à venir, qu’elle se dressa tout à coup en se souvenant qu’elle devait aller préparer le thé.

Mirah n’avait jamais pensé que Deronda pût l’aimer. Le malaise qu’elle avait ressenti jusqu’alors était vague et pouvait facilement s’expliquer comme un regret, que Daniel ne fût qu’un visiteur dans son monde et dans celui de son frère. Mais, désormais, son sentiment n’était plus incertain : l’image de madame Grandcourt aux côtés de Deronda, et l’entraînant loin d’elle, était aussi définie que si elle avait senti des tenailles lui déchirer la chair. Une nouvelle sensation venait de se déclarer, et c’était une jalousie cruelle contre madame Grandcourt, dont elle pensait, sans le vouloir, plus de mal qu’elle n’en connaissait. « Hélas ! se disait la pauvre enfant, la tête appuyée sur son oreiller pendant ses insomnies, je n’ai jamais eu d’aussi affreux sentiments !.. » Il était étrange qu’elle dût prier contre un sentiment qui concernait Deronda. Elle était arrivée à cette conclusion un soir, pendant qu’elle veillait son frère, dont l’exaltation à l’idée de revoir son ami le disposait à faire connaître ses pensées à Mirah. L’une d’elles le préoccupait tout spécialement.