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la duchesse. Avouez que Deronda est un heureux coquin de s’être trouvé là à point pour prendre soin d’elle.

Mirah était retombée sur son tabouret, les yeux baissés et les mains jointes. Madame Meyrick, en passant le journal à Mab, dit :

— Pauvre femme ! il faut qu’elle ait bien aimé son mari pour s’être élancée dans l’eau après lui !

— Pure inadvertance ! petite absence d’esprit ! s’écria Hans en faisant une grimace grotesque et en se jetant dans un fauteuil non loin de Mirah. — Quelle femme pourrait aimer un baryton jaloux, au regard glacial, chantant faux ? C’est le rôle qu’a joué le mari, soyez-en sûre. Il ne pouvait rien faire mieux que de se noyer. Voilà notre duchesse libre d’épouser un homme avec de beaux cheveux, et avec un regard qui la fera fondre au lieu de la glacer… Et je serai invité à la noce.

Mirah, qui était restée assise, se leva d’un bond, et, fixant sur Hans des yeux pétillants de colère, lui dit d’une voix émue et tremblante d’indignation :

— Monsieur Hans vous ne devriez pas parler ainsi. M. Deronda n’aimerait pas à vous entendre vous exprimer de la sorte. Pourquoi dites-vous qu’il est heureux ?.. Pourquoi vous servez-vous de paroles de ce genre sur la vie et sur la mort… quand ce qui est la vie pour l’un est la mort pour l’autre ? D’où savez-vous que ce serait heureux s’il aimait madame Grandcourt ?.. Ce serait un grand malheur pour lui. Elle l’empêcherait de voir mon frère ; je sais qu’elle le ferait. M. Deronda ne dirait pas qu’il est heureux de percer le cœur de mon frère !

Tous furent frappés de cette transformation soudaine. Le visage de Mirah, avec un regard de colère qui aurait convenu à Ithuriel, pâle jusqu’aux lèvres, dont la teinte carminée était ordinairement si riche, terrifia Hans, qui demeura atterré et qui rougit comme une jeune fille.