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plaisir d’offrir l’hospitalité au petit-fils de mon meilleur ami ? Leur vie s’écoule ici dans l’abondance et le luxe ; mais, moi, je préfère voyager.

— Si vous voulez bien me recommander à eux, je serai heureux de faire leur connaissance un peu plus tard, car des affaires urgentes me rappellent en Angleterre ; j’ai là des amis qui ont besoin de moi. Des circonstances imprévues m’ont retenu trop longtemps loin d’eux. Mais le désir d’en savoir plus long, sur vous et sur votre famille, sera un motif plus que suffisant pour me faire revenir à Mayence.

— Bon ! moi, vous ne me retrouverez probablement pas, car j’ai plus de soixante-dix ans, et je suis un voyageur qui porte avec lui son suaire. Mes fils et leurs enfants demeurent ici riches et considérés. Les temps sont changés pour nous, à Mayence, depuis l’époque où l’on massacrait les juifs s’ils ne consentaient à recevoir le baptême ; ils sont changés depuis l’époque où Charlemagne transplanta ici mes ancêtres de l’Italie pour inoculer leurs connaissances à nos frères incultes de l’Allemagne[1]. Mes contemporains et moi, nous avons eu aussi à lutter. Notre jeunesse a connu de mauvais jours ; mais nous l’avons enfin emporté. Nos richesses sont à nous et nous pouvons les accroître en toute sûreté ; la science de toute l’Allemagne est sortie de cerveaux Israélites… quoiqu’ils n’aient pas toujours gardé leurs cœurs juifs. Vous a-t-on laissé ignorer la vie de votre peuple, jeune homme ?

— Non, répondit Deronda ; dernièrement, avant que je soupçonnasse ma naissance, j’ai été conduit à étudier son histoire avec plus d’intérêt que jamais. J’ai pu ainsi me préparer à un peu comprendre mon grand-père.

— Peut-être auriez-vous été comme lui si votre éducation

  1. Le fait est historique. Cf. M. J. Schleiden. Les Juifs et la science au moyen âge. p. 67. Paris, 1877. (Note du traducteur.)