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— Ainsi, vous n’êtes pas fâché d’être quelque chose de plus qu’un Anglais ?

— Au contraire, s’écria Daniel, je vous remercie de tout cœur d’avoir aidé à empêcher que je ne demeurasse dans l’ignorance de mon extraction, et d’avoir pris soin du coffre que mon grand-père vous a confié.

— Asseyez-vous ! asseyez-vous ! dit vivement Kalonymos, qui s’assit lui-même, et fit prendre place à Daniel auprès de lui, en caressant sa barbe pendant qu’il examinait le jeune visage du petit-fils de son ami.

— Jeune homme, dit-il après une pause, je me réjouis de n’avoir pas encore repris mes voyages et que vous soyez venu à temps pour me faire voir l’image de mon ami, lorsqu’il était jeune ; pour me faire voir que vous n’êtes plus détourné de la communion de votre peuple ; pour me faire voir que vous ne frémissez plus d’une orgueilleuse colère à l’attouchement de celui qui avait l’air de vous prendre pour un juif. Vous venez avec reconnaissance me redemander la parenté et l’héritage qu’une tentative malfaisante aurait voulu vous enlever. Vous venez me déclarer volontairement et du fond de l’âme : « Je suis le petit-fils de Daniel Charisi, » n’est-ce pas ?

— Assurément, répondit Deronda. Mais permettez-moi d’ajouter qu’à aucune époque je n’ai été tenté de traiter un juif impoliment, par la seule raison qu’il était juif. Vous devez comprendre que j’aie refusé de dire à un étranger : « Je ne connais pas ma mère ! »

— Péché ! péché ! s’écria Kalonymos en étendant les bras comme s’il maudissait et en fermant les yeux. Ce fut un vol à notre peuple, comme lorsque nos jeunes garçons et nos jeunes filles furent emmenés dans l’Edom romaine. Mais cet espoir a été déçu. Je l’ai frustré. Quand Daniel Charisi était adolescent et moi seulement un enfant lui allant à l’épaule, nous avons fait le vœu solennel d’être toujours