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des roses, connaissance avec son premier chagrin. On s’était servi, pour construire ce cloître, de pierres plus dures et plus résistantes que pour l’église ; aussi avait-il mieux supporté l’action et les ravages du temps. C’était, dans cette région septentrionale, un rare exemple de monastère avec arcades et piliers. On aurait dit que le feuillage des chapiteaux venait d’être artistement déchiqueté et délicatement ouvragé par le ciseau du sculpteur. Gwendolcn avait quitté le bras de son mari pour se joindre aux autres dames, auxquelles Deronda faisait remarquer l’art avec lequel on avait combiné la liberté avec l’exactitude, dans l’imitation de la nature.

— Je me suis souvent demandé, dit-il après avoir désigné un délicieux chapiteau, si on n’apprend pas à aimer les objets réels par leurs représentations, ou ces représentations par leurs objets réels. Quand j’étais enfant, ces chapiteaux m’ont enseigné à observer et à aimer la structure des feuilles.

— J’affirmerais presque que vous en voyez chaque ligne les yeux fermés, dit Juliette Fenn.

— Oui ; car, pendant bien des années, cette cour a été pour moi la seule image d’un couvent et chaque fois que je lis un ouvrage où il est question de moines et de monastères, c’est ici que je les place.

— Vous devez beaucoup aimer cette résidence, reprit en toute innocence Juliette Fenn, qui ne pensait aucunement à l’héritage. Tant de maisons se ressemblent ! mais celle-ci est unique, et vous paraissez en connaître chaque recoin. Jamais vous n’en aimerez autant une autre.

— J’en porte l’image en moi, répondit paisiblement Deronda, habitué à des pensées de ce genre. Pour la plupart des hommes, leur première demeure n’est qu’un souvenir de leur jeunesse, et je n’affirmerais pas qu’ils en aient conservé le meilleur. L’image ne s’efface jamais ; on n’est