Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’œil de la nuit, mais qu’elle s’était abstenue de toute marque d’agitation violente, et qu’enfin, vers le matin, elle s’était assoupie.

Il sortit alors pour aller se renseigner davantage, s’il était possible, auprès des pêcheurs qui avaient porté secours à Gwendolen ; mais il n’en reçut que peu de détails nouveaux. Ils avaient trouvé le bateau dans lequel Grandcourt était sorti, allant à la dérive avec sa voile détachée et l’avaient remorqué. Ils supposaient que milord avait dû être lancé par-dessus bord par le contre-coup de la voile pendant qu’il la retournait, et qu’étourdi par le choc, il n’avait pu nager. Comme ils n’en étaient pas bien loin, leur attention avait d’abord été éveillée par un cri, comme celui d’un homme en détresse, et, pendant qu’ils faisaient force de rames, ils avaient entendu le cri perçant de la dame et l’avaient vue se jeter à l’eau.

Rentré à l’hôtel, Deronda apprit que Gwendolen était levée et demandait à le voir. On l’introduisit dans une chambre où les stores et les rideaux baissés entretenaient une demi-obscurité. Elle était étendue sur une chaise longue, enveloppée d’un grand châle blanc et regardait la porte d’un air d’attente et de malaise. Mais ses beaux cheveux avaient été peignés et relevés avec soin ; les étoiles bleues, qui d’habitude ornaient ses oreilles, n’avaient pas quitté leur place.

Elle se dressa sur ses pieds comme mue par un ressort ; son visage et son cou, sauf une ligne rougeâtre sous les yeux, étaient aussi blancs que son châle ; ses lèvres entr’ouvertes avaient cette expression particulière aux personnes accusées, ayant perdu toute espérance. Ce n’était plus que le spectre de cette Gwendolen Harleth que nous avons vue si fière et si complètement maîtresse d’elle-même après ses pertes au jeu. À cette vue, Deronda sentit son cœur se fondre de pitié et leurs relations passées lui revinrent à l’esprit.