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— Ah ! comme toi… elle est attachée au judaïsme dont elle ne connaît rien, dit la princesse d’un ton tranchant. C’est de la poésie… Aime-t-elle la vie d’artiste ? Chante-t-elle bien ?

— Son chant est exquis, mais sa voix n’est pas faite pour le théâtre. Je crois qu’on lui a rendu la vie d’artiste répugnante.

— Alors elle est faite pour toi. Sir Hugo m’a dit que tu t’étais prononcé résolûment contre la carrière de chanteur, et je vois que tu ne te serais jamais laissé annuler par une femme, comme ton père.

— Je répète, dit énergiquement Deronda, que je ne suis pas plus assuré de son amour que de la possibilité d’être un jour son mari. D’autres choses, de pénibles conséquences peuvent me contrarier. J’ai toujours eu le pressentiment que je devais me préparer au renoncement ; que je ne devais pas chérir cette perspective. Je suis prêt à tout supporter…

— En est-il vraiment ainsi ?.. lui demanda sa mère en s’appuyant de nouveau sur son épaule et en examinant son visage, tout en parlant d’une voix grave et entrecoupée. Pauvre garçon ! Je me demande ce qui serait arrivé si je t’avais gardé avec moi… Si ton cœur s’était tourné vers les anciennes choses… contre moi… nous nous serions querellés… ton grand-père aurait été en toi… et la jeune croissance sur le vieux tronc aurait embarrassé ma vie.

— Je crois que mon affection aurait persisté malgré nos querelles, répondit Deronda, qui s’attristait de plus en plus ; elle n’aurait pas embarrassé votre vie… elle l’aurait embellie.

— Pas alors, pas alors !.. Je n’en avais pas besoin alors !.. Peut-être en serais-je heureuse maintenant, ajouta-t-elle avec mélancolie ; si je pouvais être heureuse de quelque chose !