Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ainsi, nous allons nous séparer, et jamais je ne serai plus rien pour vous !

— Il vaut mieux qu’il en soit ainsi, répondit-elle d’une voix douce et moelleuse. Tu aurais un devoir bien dur à remplir, même s’il était possible que tu pusses te présenter comme mon fils. Tu ne m’aimerais pas… Ne dis pas le contraire, s’écria-t-elle en levant la main : je connais la vérité. Tu n’approuves pas ce que j’ai fait, tu es fâché contre moi ; tu penses que je t’ai dérobé quelque chose. Tu es du côté de ton grand-père, et tu me condamnes dans ton cœur.

Daniel se sentait réduit au silence. Il se leva, préférant être debout devant cette impérieuse prohibition de toute tendresse. Mais sa mère, qui le considérait avec admiration, reprit :

— Tu as tort de m’en vouloir ; tu n’as pu que gagner à ce que j’ai fait ! — Après une légère pause, elle demanda brusquement : — Et maintenant, apprends-moi ce que tu comptes faire.

— Voulez-vous parler de ce que je vais faire, ou de ce que je ferai dans l’avenir ?

— Je parle de l’avenir. Quel changement te causera ce que je t’ai dit sur la naissance ?

— Un fort grand. Je ne crois pas que rien puisse le faire plus grand.

— Que feras-tu ? reprit la princesse avec un peu d’âpreté. Vas-tu devenir semblable à ton grand-père, être ce qu’il voulait que tu fusses… te changer en juif comme lui ?

— C’est impossible. Je ne pourrai jamais annuler l’effet de mon éducation première. Les sympathies chrétiennes que j’ai dans le cœur ne peuvent s’éteindre. Mais ce que je considère comme mon devoir, c’est de m’identifier autant que possible avec mon peuple héréditaire, et, s’il y a pour lui une œuvre à tenter à laquelle il faudra vouer mon âme et mon bras, je la tenterai.

Sa mère avait les yeux fixés sur les siens et paraissait