Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’image de Gwendolen à côté de celle de Deronda, eut l’effet lancinant d’une voix confirmant la conviction que cette grande et belle femme s’était approprié son lot.

Le soir, la tête appuyée sur l’épaule de son frère, assis dans son lit à cause de sa difficulté à respirer, elle lui dit :

— Ezra, ton affection pour M. Deronda a-t-elle jamais été froissée de ce que tant de choses de sa vie te soient cachées ; qu’il vive parmi des personnes, et qu’il s’inquiète de personnes qui nous ressemblent si peu… je veux dire qui te ressemblent si peu ?

— Non, assurément non, répondit Mordecai. C’est, au contraire, une pensée qui m’est douce de savoir qu’il a eu une préparation qui m’a manqué.

Puis, se souvenant que ses paroles se rapportaient à des idées que sa sœur ne pouvait comprendre, il ajouta :

— J’ai à lui donner davantage, parce que son trésor diffère du mien. C’est une bénédiction dans l’amitié.

Mirah attendit un peu et reprit :

— Ce serait une épreuve bien dure pour l’affection que tu lui portes, si cette autre partie de sa vie devait être emportée loin de toi. Comment supporterais-tu cela ? Notre religion nous ordonne de souffrir sans nous plaindre. Comment le supporterais-tu ?

— Mal, ma sœur, très mal ! Mais cela n’arrivera jamais, dit Mordecai en la regardant avec un tendre sourire. Il pensait que son cœur avait besoin de consolation.

Mirah ne dit plus rien. Elle méditait sur la différence entre l’état de son esprit et celui de son frère, et se trouvait comparativement petite.

Elle envisageait son malaise comme une sorte d’ingratitude, comme un manque de sensibilité pour les grands changements que lui avaient apportés sa nouvelle existence, et, chaque fois qu’elle mettait plus d’énergie dans son