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ligence. Ce cousinage avec la duchesse nous a été dévoilé par hasard, un jour que Mirah était à la maison avec ces dames et que l’on parlait des Mallinger. À propos ! Je suis devenu si important, que je reçois des invitations de toutes parts. Gascoigne veut que j’aille avec lui, en août, au presbytère de son père et que je visite le pays ; mais je crois que mon intérêt bien compris me poussera du côté de Topping Abbey ; sir Hugo m’y a invité et me propose — que Dieu le bénisse pour sa témérité ! — de faire le portrait de ses trois filles, assises sur un banc, dans le style de Gainsborough, comme il dit. Il est venu dernièrement à mon atelier et m’a fortement engagé à m’appliquer au portrait. Naturellement j’ai compris ce que cela signifiait et le voici : « Mon cher garçon, vos essais en peinture historico-poétique sont tout bonnement pitoyables. Votre pinceau est celui d’un peintre de portraits, votre idéalisme ne conviendra jamais pour les dieux, déesses ou héros : mais, si vous en faites un flatteur, on pourra vous le payer d’un haut prix. Le sort, mon bon ami, a fait de vous une roue de derrière, rota posterior curras et in axe secundo. Courez donc derrière, puisque vous ne pouvez faire autrement. »

» La bonté de sir Hugo me paraît d’autant meilleure qu’elle me vient de son affection pour vous, mon vieux camarade. Son bavardage m’amuse beaucoup. J’ai su par lui que votre duchesse de Van Dyck est allée, avec son mari, se promener en yacht sur la Méditerranée.

» Excusez la brièveté de cette lettre ; vous n’êtes pas habitué à recevoir de moi plus qu’un simple énoncé des faits sans commentaires ni digressions. Quelle chance si vous étiez revenu à l’abbaye pour le moment où j’y serai ! Mais je retournerai à Londres de temps à autre pour jeter un regard dans le Gan-Eden[1]. Vous voyez combien je suis

  1. Le Paradis. Littéralement le Jardin d’Éden. (Note du trad.)