Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croyant philosophico-allegorico-mystique, dont la dialectique est si serrée, qu’il a bientôt réduit ses adversaires au silence.

» Quant à Mirah, si elle ne m’inspirait pas tant de respect et qu’elle fût moins céleste, il y a longtemps que je me serais jeté à ses pieds et que je l’aurais suppliée de me dire franchement s’il fallait me faire sauter la cervelle. J’ai pourtant une lueur d’espoir. Cet espoir erre dans les vergers en fleurs, il sent tomber sur lui les rayons du soleil et ne doute de rien. Mais, quand il cherche la certitude, il voit une horrible face de Janus, qui lui jette un mauvais regard et qui se détourne de lui. Néanmoins, je reprends courage et je me dis que la vérité prévaudra, que le préjugé s’évanouira, que la divinité escortée du mérite se fera sentir comme une fascination, et qu’aucune aspiration vertueuse ne sera frustrée ; ce qui implique, si je ne me trompe, que la juive que je préfère me préférera. Chaque imbécile peut citer des généralités, mais l’esprit fort sait discerner les cas particuliers qu’elles représentent.

» … Je m’imagine parfois que Mirah s’attriste un peu et qu’elle essaye de le dissimuler. C’est assez naturel : car elle voit la mort lente d’un frère qu’elle chérit, et elle le regarde avec des yeux si pleins d’affectueuse dévotion, que je serais tenté de désirer la place de Mordecai.

» … Pour le reste nous sommes un peu plus gais que d’habitude. Rex Gascoigne, un jeune homme dont vous devez vous rappeler que vous admiriez la tête parmi mes esquisses, habite maintenant Londres, pas loin de chez nous, et une gentille petite sœur est venue lui tenir compagnie pendant la quinzaine dernière. Je les ai présentés tous deux à ma mère et à mes sœurs qui ont appris de miss Gascoigne qu’elle est cousine de votre duchesse de Van Dyck !!! Je mets ces trois points d’exclamation pour marquer la surprise que cette information a produite sur ma faible intel-