Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle était debout au milieu du salon, quand on annonça Deronda, et lorsqu’il s’approcha, elle s’aperçut que lui aussi n’était pas dans son état habituel. Ils se demandèrent mutuellement des nouvelles de leurs santés, et Gwendolen, au lieu de s’asseoir, s’éloigna un peu et alla s’appuyer sur le dos d’un fauteuil. Deronda resta debout, tenant son chapeau d’une main, et de l’autre froissant le col de son habit. Gwendolen vit dans son embarras la reproduction du sien, et forcée de parler, elle dit d’une voix timide :

— Vous vous demandez, n’est-ce pas, pourquoi je vous ai prié de venir ? J’avais besoin de vous questionner. Vous m’avez dit que j’étais ignorante. C’est vrai ! Que puis-je, sinon vous interroger ?

Elle ne sentait pas la possibilité de lui adresser les questions qu’elle avait préparées. Quelque chose de nerveux dans sa manière d’être fit craindre une crise à Deronda. Il lui répondit avec une tristesse affectueuse :

— Je n’ai qu’un regret : c’est de ne pouvoir vous être que d’une très faible utilité.

Ces paroles et ce ton firent vibrer en elle une corde nouvelle, et elle continua avec moins de gêne, quoique ce ne fût pas ce qu’elle aurait voulu dire :

— J’avais besoin de vous faire savoir que j’ai toujours pensé à votre recommandation ; mais cela est-il bien utile ? Je ne puis me changer, parce que les choses qui m’entourent n’éveillent en moi que de mauvais sentiments, et il faut que je continue ; je ne puis rien changer, c’est inutile !

Elle s’arrêta un instant, contrariée de n’avoir pas trouvé les paroles désirables, et recommença avec plus de hâte :

— Mais si je continue, je deviendrai pire, et je ne le veux pas. Je tiendrais à être ce que vous voudriez que je fusse, il y a des gens qui sont bons et qui se plaisent aux grandes choses, je le sais. Moi, je suis une créature mépri-