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— Beaucoup, répondit-il avec une nonchalance qui rendait ce mot ironique.

C’était la première fois, depuis leur arrivée, que Deronda les entendait se parler et jugea leur échange de regards, aussi froid et aussi artificiel que la cérémonie de publication d’une charte.

— Qui encore veut faire le tour de la maison et de ses dépendances ? demanda sir Hugo. Il faudra que les dames s’enveloppent bien ; nous n’avons que juste le temps avant le coucher du soleil. Tu viendras, Dan, n’est-ce pas ?

— Certainement, répondit Deronda insouciamment, car il savait bien que, pour sir Hugo, toute excuse aurait été désobligeante.

— Alors, quand tout le monde sera prêt, on se réunira dans la bibliothèque, c’est-à-dire dans une demi-heure, décida le baronnet.

Gwendolen s’apprêta avec une étonnante promptitude, et, au bout de dix minutes, elle descendait dans la bibliothèque, emmitouflée dans ses fourrures, chaussée de petites bottes fortes et la tête couverte d’un chapeau à plumes. Elle s’aperçut en entrant que quelqu’un se trouvait là : elle l’avait espéré. Ce quelqu’un était Deronda, qui lui tournait le dos en lisant un journal, assis dans un fauteuil à l’extrémité de la pièce. Elle pouvait tousser, mais c’eût été comme un signal auquel sa fierté refusait de descendre. Elle aurait été honteuse d’aller jusqu’à lui et de lui faire voir qu’elle était là, quoiqu’elle eût une soif ardente de lui parler. Il n’y avait pas l’ombre de coquetterie dans son attitude envers lui ; pour elle, il était unique, parce qu’il l’avait impressionnée, non comme un admirateur, mais comme un supérieur. Et pourtant il ne bougeait pas ! — il ne voyait pas qu’elle était là ! — Le papier criait sous ses doigts ; sa tête se levait et se baissait