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Les lèvres de Gwendolen devinrent aussi blanches que ses joues ; sa colère était sans armes : les mots n’arrivaient pas à ses lèvres ; le langage de cet homme lui faisait l’effet d’une lame d’acier qui lui déchiquetait la peau.

M. Grandcourt n’ignore pas que vous saviez cette malheureuse affaire, et il croit juste que sa position et ses intentions vous soient clairement expliquées. Il s’agit de fortune et d’espérances, et si vous aviez quelque objection à y faire, je vous prie de me la mentionner ; c’est un sujet dont, naturellement, il ne voudrait pas parler lui-même ; soyez donc assez bonne pour lire ceci, dit Lush en se levant et en lui présentant le papier.

Gwendolen s’était résolue à ne trahir aucune émotion en présence de cet homme, mais elle n’était pas préparée à s’entendre dire que son mari connaissait les conditions, silencieusement acceptées, avec lesquelles elle l’avait épousé. Elle n’osa pas avancer la main pour prendre le papier, dans la crainte qu’elle ne tremblât trop visiblement. Pendant un moment, Lush demeura debout le lui tendant et elle sentait son regard fixé sur elle comme une ignominie, avant de pouvoir lui dire à voix basse, mais avec hauteur :

— Mettez-le sur la table et allez dans la chambre voisine, je vous prie.

Il obéit, passa dans l’arrière-salon, où il s’étala dans un fauteuil, en se disant : « Madame recule considérablement. Elle ne savait pas ce que lui coûterait cet article superflu qui s’appelle Henleigh Grandcourt. » Comme elle était une fille sans le sou, il lui semblait qu’elle avait mieux réussi qu’elle n’avait droit de l’espérer, et que son habileté avait été grande pour son âge ; ses réponses à Lydie ne signifiaient rien et son départ avait probablement été une manœuvre très adroite. Il appelait cela un coup de maître.

Pendant ce temps, Gwendolen ralliait ses esprits pour lire le papier. Il fallait qu’elle le lût. Tout son être, son