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— Indécent ! s’écria Gwendolen stupéfaite et rougissant sans plus réfléchir à la fausseté probable de l’induction.

— Oui, surtout qu’elle est patronnée par lady Mallinger. Il devrait se taire. On peut voir ce que sont ses rapports avec elle.

— Oui, les hommes qui jugent les autres d’après eux-mêmes, répliqua Gwendolen, qui, de pourpre, devint subitement pâle, effrayée de ce qu’elle venait de dire.

— Naturellement, et les femmes devraient prendre leurs avis, sans cela elles courent risque d’avoir tort. Je crois que vous prenez Deronda pour un saint ?

— Oh ! Dieu, non, dit Gwendolen en faisant un effort désespéré pour retrouver son sang-froid ; je le crois seulement quelque chose d’un peu moins qu’un monstre.

Elle se leva, et, sans se presser, sortit de la salle à manger comme l’aurait fait un homme qui craint de laisser voir qu’il a bu plus de vin que d’habitude. Rentrée dans son boudoir elle en ferma la porte et se laissa tomber dans un fauteuil. La lettre empoisonnée de madame Glasher ne lui avait pas causé de sensation plus cruelle. Deronda, différent de ce qu’elle le croyait, se présentait à elle en ce moment comme une image hideuse ; ses reproches et sa sévérité lui parurent odieux et la grave beauté de son visage lui fit l’effet d’un masque déplaisant. Ces idées traversèrent son cerveau avec la rapidité de l’éclair ; mais soudain un rayon de soleil vint percer ces sombres nuages. « Ce n’est pas vrai, se dit-elle ; qu’est-ce que cela peut me faire qu’il le croie ou non ? »

Elle se répéta plusieurs fois ces paroles, mais sa confiance était ébranlée. Il était impossible qu’elle passât la journée dans cet état. Son impétueuse imagination lui conseillait les démarches les plus étranges pour se convaincre de ce qu’elle tenait à savoir. Elle voulait aller chez lady Mallinger et la questionner sur Mirah ; elle voulait