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lorsqu’un autre a de la chance ; je saurai toujours bien me tirer d’affaire. Si quelqu’un voulait me rouler, je me tortillerais comme une chenille, et je ne manquerais pas de retomber sur mes pieds. Quoique je puisse dire que vous nous enlevez une de nos bonnes œuvres, — ce qui, soit dit en passant, est une propriété qui ne rapporte pas d’intérêts, — ni ma mère, ni ma femme, ni moi, ne prétendons nous y opposer. Il ne faut pas qu’un juif soit comme un domestique qui travaille pour un salaire, encore bien que je ne croie pas qu’on doive refuser le salaire quand on peut l’obtenir ; quant à l’envoi de Jacob à l’école, je ne suis ni pauvre, ni avide ; je n’en suis pas réduit à économiser six pence, ni même une demi-couronne. Ce qui est vrai, c’est que les femmes et les enfants aiment Mordecai ; votre bon sens peut vous le faire voir. Un homme est tenu de remercier Dieu, comme nous le faisons tous les jours, de ce qu’il ne l’a pas fait femme, et la femme de ce qu’il l’a faite selon sa volonté. La femme de notre peuple est féconde, maternelle ; son cœur est compatissant et tendre. Ses enfants sont vigoureux et sains, et je pense que vous avouerez que ceux d’Addy le sont ; elle n’est pas méchante, et elle a le cœur sensible. Vous nous excuserez donc, monsieur, de n’avoir pas tout d’abord été heureux de ce qui arrive. Quant à cette jeune lady, — car, d’après ce que vous avez dit, le terme de « jeune lady » est le seul convenable pour la désigner, — nous en serons enchantés pour l’amour de Mordecai, quand nous aurons pu nous en rendre compte et voir où nous en sommes.

Avant que Deronda pût rien répondre a cette allocution d’un amalgame si bizarre, Mordecai s’écria :

— Mes amis, mes amis ! croyez bien que s’il ne s’agissait que de l’abri, de la nourriture et du vêtement, je n’en accepterais pas de meilleurs que ceux que vous m’avez donnés. Vous avez allégé mes souffrances par l’amour, et