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il est bon pour moi que quelqu’un me reproche de n’être pas brave ; cela me réchauffe le sang.

Deronda aurait été plus disposé à argumenter et à être persuasif sur le compte du livre de Mirah, s’il n’avait pas été préoccupé de la tâche plus importante dont il tenait à s’acquitter sans blesser les Cohen. Il aurait voulu rencontrer Mordecai à la Main et la Bannière ; mais, après mûre réflexion, il lui avait écrit que des raisons particulières le portaient à désirer le voir chez lui le lendemain au soir, et causer avec lui dans son atelier, si les Cohen n’y faisaient point d’objection. En ce dernier cas, il espérait que Mordecai ne refuserait pas de l’accompagner ailleurs. Il pensait ainsi produire un effet préparatoire et salutaire.

Il fut reçu avec la cordialité habituelle. Après qu’il eut dit :

— Je crois que Mordecai est ici et m’attend, Jacob sauta sur ses genoux en lui demandant :

— Qu’avez-vous à dire à Mordecai ?

— Quelque chose de très intéressant pour lui, répondit Deronda en pinçant légèrement l’oreille du gamin, mais tu ne comprendrais pas.

— Pouvez-vous dire ceci ? s’écria Jacob, qui prononça aussitôt une phrase en hébreu.

— Non, en vérité, je ne le puis.

— Je le pensais bien, s’écria l’enfant d’un air de triomphe ; puis, courant à la porte de l’atelier, il dit à haute voix :

— Mordecai, voici le jeune fashionable ! Expression dont se servait son père et qu’il pensait devoir compléter son triomphe commencé avec l’hébreu. Sa mère et sa grand’mère le réprimandèrent, pendant que Daniel, entrant dans l’atelier dont il ferma la porte, vit qu’un tapis avait été étendu par terre, qu’un fauteuil avait été apporté et que du feu et une lampe avaient été allumés, pour témoigner de la considération des Cohen envers lui.