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aurait-elle pu être heureuse d’un enthousiasme que, pour être sincère, elle considérait comme une opiniâtreté judaïque ? Elle avait espéré, et ses enfants aussi, que l’intensité de passion de Mirah pour le judaïsme s’affaiblirait peu à peu et qu’elle se fondrait dans le courant de ses rapports affectueux avec ses nouveaux amis. Dans son secret désir de voir se continuer le roman, elle avait présumé qu’on ne retrouverait aucun de ses parents et que l’isolement de la jeune fille favoriserait les espérances de Hans qu’elle avait devinées. Et voilà qu’au plus beau moment apparaît un frère, qui, sans doute, replongera l’esprit de Mirah au plus profond de la croyance juive ! Elle ne put s’empêcher de dire à Dcronda :

— Je suis aussi heureuse que vous que le prêteur sur gage ne soit pas son frère : il y a bien des Ezra en ce monde et réellement c’est une consolation de penser que tous les juifs ne sont pas comme ces boutiquiers qui, une fois qu’ils vous tiennent, ne veulent pas vous laisser sortir de chez eux. En outre, ce qu’il dit de sa mère et de sa sœur me fait le bénir. Je suis sûre qu’il est bon. Pourtant, je n’aime pas et n’ai jamais aimé le fanatisme. C’est peut-être parce que j’ai un peu trop entendu prêcher dans ma jeunesse et que mon palais s’en est dégoûté.

— Vous ne trouverez pas en Mordecai un prédicateur, répondit Dcronda, et il n’est pas ce qu’on peut appeler fanatique. Selon moi, un homme n’est fanatique que quand son enthousiasme est étroit et aveugle, ce qui fait qu’il n’a aucun sens des proportions, qu’il devient injuste et qu’il se rend antipathique à ceux qui ne suivent pas le même sentier que lui. Mordecai est un enthousiaste dans le sens le plus élevé de ce mot ; c’est-à-dire qu’il ne pense qu’aux bienfaits généraux et suprêmes pour l’humanité. Ce n’est pas un juif strictement orthodoxe, car il est plein de tolérance pour les autres : sa conformité, en bien des