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— Non, répondit froidement Daniel ; je crois que c’est parfois excusable. Mais je ne pensais pas que vos derniers mots étaient tout à fait artificiels.

— Ai-je dit quelque chose qui vous ait déplu ?

— C’est impossible à expliquer. On ne peut jamais communiquer les délicatesses du sentiment par des mots et des manières.

— Vous pensez qu’il m’est interdit de les comprendre, dit-elle avec un léger tremblement dans la voix. Me suis-je donc montrée si rebelle à ce que vous m’avez dit ?…

On voyait des larmes dans ses yeux.

— Pas du tout, repartit Deronda d’une voix plus douce. Mais l’expérience diffère selon les personnes. Nous ne voyons pas tous les choses de la même façon. J’ai eu plus d’une preuve que vous n’êtes pas rebelle, conclut-il en souriant.

— Mais on peut sentir les choses et n’être pas capable de mieux faire, répondit Gwendolen sans sourire : la distance à laquelle Deronda semblait la rejeter l’avait glacée. — Je commence à croire que nous ne pouvons devenir meilleurs qu’en ayant auprès de nous quelqu’un qui sollicite nos bons sentiments. De moi, rien ne doit vous surprendre : peut-être est-il trop tard pour me changer ! Je ne sais comment faire pour être sage comme vous me l’avez dit.

— Mes prédications ont rarement abouti à bien ; j’aurais probablement été plus sage en ne me mêlant de rien.

— Non ! ne dites pas cela, s’empressa de répondre Gwendolen. Si vous désespérez de moi, je désespérerai aussi ! Quand vous m’avez recommandé de ne pas persévérer dans l’égoïsme et l’ignorance, j’ai senti une force nouvelle en moi. Si vous dites maintenant que vous voudriez ne pas vous en être mêlé, c’est que vous désespérez de moi et que vous m’abandonnez. Alors vous aurez décidé que je ne serai jamais bonne ! C’est vous qui en serez cause, car je sens